Grégoire X, Pape du 1er septembre 1271 au 10 janvier 1276

Conférence du Professeur Maurizio de Paoli

(Hospice du Simplon, 25.10.2025)

Le long voyage de retour en Italie de Grégoire X

à la fin du deuxième Concile de Lyon en 1274 (le premier, convoqué par Innocent IV, s'était tenu en 1245

et s'était conclu par l'excommunication de l'empereur Frédéric II de Souabe. Il convient de noter que lors de ce Concile, le pape avait également évoqué la nécessité de s'attaquer aux « cinq plaies de l'Église » :

+ la mauvaise conduite du clergé,

+ la prise de Jérusalem par les Sarrasins,

+ la menace grecque contre l'Empire latin,

+ l'invasion mongole de la Hongrie

+ le conflit entre l'Église et l'empereur Frédéric II.

La même expression sera reprise par Antonio Rosmini dans son ouvrage le plus célèbre, intitulé précisément « Des cinq plaies de la Sainte Église ».

Il convient de noter que Tedaldo Visconti (le futur Grégoire X), après avoir refusé la nomination d'archevêque de Plaisance, sa ville natale, avait participé à l'organisation du premier concile de Lyon (il était collaborateur de l'évêque de Lyon Philippe de Savoie, ville dont il était également chanoine, ainsi qu'archidiacre à Liège. Et dans cette dernière ville, il avait protégé de son corps l'évêque local corrompu, agressé par le père d'une jeune fille que le prélat avait violée. Ayant réprimandé l'évêque pour son comportement, il avait reçu une série de coups qui lui avaient causé une hernie inguinale qui allait le « persécuter » toute sa vie).

Mais revenons au deuxième concile de Lyon, car c'est dans cette assemblée conciliaire que se résume de manière plastique le programme du pontificat de Grégoire X, l'un des plus importants de la période médiévale.

Rappelons que Tedaldo Visconti est élu pape à l'issue du plus long conclave de l'histoire de l'Église, qui a duré 33 mois, entre 1268 et 1271, et s'est déroulé à Viterbe.

Visconti ne participe pas à ce conclave, car il n'est ni cardinal, ni évêque, ni prêtre. Il ne se trouve même pas en Italie. Il est en Terre Sainte, où il a rejoint en 1270 le prince héritier d'Angleterre Édouard dans le cadre de la croisade (infructueuse) menée par le roi de France Louis IX (qui sera canonisé par Boniface VIII en 1297) où il a notamment rencontré Marco Polo, qui partait avec son père Niccolò et son oncle Matteo pour rejoindre la cour du Grand Khan Qubilai.

Le choix des six cardinaux chargés de mettre fin au conclave se porte sur Tedaldo car il est considéré comme un homme au-dessus des parties en conflit (Italiens et Français, Guelfes et Gibelins) et il a derrière lui une carrière diplomatique importante, ayant accompagné les légats pontificaux dans des missions en France et en Angleterre. De plus, sa candidature bénéficie du soutien de Bonaventure de Bagnoregio, influent ministre général des Franciscains, philosophe et théologien parmi les plus éminents de l'histoire de l'Église (et dont Tedaldo a été l'élève à l'Université de Paris, où il a également rencontré Thomas d'Aquin)

Proclamé pape le 1er septembre 1271, Grégoire X s'embarque pour Rome, où, le 27 mars 1272, après avoir été ordonné prêtre et consacré évêque, il est couronné pape.

Aujourd'hui, les papes ont coutume d'exposer les points saillants de leur programme dans leur première encyclique (il faudra attendre 1740 et l'« Ubi Primum » de Benoît XIV, Prospero Lambertini, pour trouver un document pontifical défini par son propre auteur comme une « encyclique »). Grégoire X n'écrit pas de document programmatique, mais quatre jours après son couronnement, il convoque un concile à Lyon, auquel il confie l'agenda de son ministère pontifical.

Le Concile se déroule du 7 mai au 17 juillet 1274. Quinze cardinaux y participent. Parmi eux se trouve Bonaventure de Bognoregio, que Grégoire a nommé cardinal et évêque d'Albano. Sont également présents le roi Jacques Ier d'Aragon et les ambassadeurs ou envoyés des rois de France, d'Allemagne, d'Angleterre, de Sicile, de Chypre et du Khan des Mongols (dont l'un se fera baptiser), à qui l'invitation à participer a été envoyée par l'intermédiaire des Polo. Le nombre de participants est l'un des plus élevés de l'histoire des 21 conciles œcuméniques : environ 500 évêques, 60 ou 70 abbés et un millier de prélats de rang inférieur. Parmi ceux que nous appellerions aujourd'hui les « experts » conciliaires, il devrait y avoir également Thomas d'Aquin, qui meurt cependant à l'abbaye de Fossanova alors qu'il se rend à Lyon. Albert le Grand est quant à lui présent. Les travaux se déroulent en six sessions et, à l'issue de celles-ci, le pape promulgue 31 canons.

- Pour Grégoire X, la priorité est de défendre et de consolider la présence chrétienne en Terre Sainte. En effet, il faut organiser une nouvelle croisade pour laquelle il faut créer une sorte de « sainte alliance » permettant de lever une grande armée.

D'où l'appel lancé à tous ceux qui se sentent menacés par les musulmans, de l'empereur de Constantinople au Grand Khan des Tatars. En somme, il s'agit de créer une grande ligue antimusulmane (une anticipation de la Sainte Ligue que Pie V réussira à « lancer » trois siècles plus tard et qui vaincra la flotte musulmane lors de la bataille de Lépante le 7 octobre 1571).

Et c'est toujours dans cet objectif qu'il faut également pacifier l'Europe, divisée par des tensions internes et des rivalités entre les différentes têtes couronnées et aux prises avec le conflit entre les prétendants au titre - vacant depuis plusieurs années - d'empereur du Saint-Empire romain germanique et leurs partisans (et Grégoire X réalise son chef-d'œuvre politique en réussissant à imposer son candidat, Rodolphe de Habsbourg, qui ne parviendra toutefois jamais à être couronné...).

Pour financer la croisade, Grégoire X impose à tous les ecclésiastiques (y compris le pape, les cardinaux et les évêques) une « dîme universelle », une taxe à verser pendant six ans - en deux versements annuels - pour financer la nouvelle entreprise destinée à soustraire les lieux saints aux musulmans.

« Cette terre », peut-on lire dans le document conciliaire, « où le Seigneur a daigné accomplir notre salut, et qu'il a sanctifiée de son sang pour racheter l'humanité par le sacrifice de sa mort, a été audacieusement attaquée et occupée pendant longtemps par des ennemis infâmes au nom du christianisme et par de perfides Sarrasins, qui la maintiennent témérairement sous leur domination et la dévastent sans aucune crainte. Dans cette terre, le peuple chrétien est sauvagement massacré ».

Le « fond » constitué pour soutenir la nouvelle croisade devra également inclure les amendes prévues par la loi pour les blasphémateurs. En outre, les confesseurs devront imposer comme pénitence à ceux qui se confessent le versement d'une somme en faveur de la libération de la Terre Sainte. Et il est demandé, toujours aux confesseurs, d'« inciter ceux qui dictent leurs dernières volontés à laisser dans leur testament une partie de leurs biens pour aider la Terre Sainte, proportionnellement à ce qu'ils possèdent ».

Enfin, dans chaque église, « il sera placé un petit coffret fermé à trois clés, dont la première sera conservée par l'évêque, la deuxième par le recteur de l'église et la troisième par un bon laïc ; les fidèles seront exhortés à y déposer, selon l'inspiration de Dieu, leurs aumônes en rémission de leurs péchés ».

Quiconque s'opposerait à la collecte d'argent pour la conquête de la Terre Sainte encourrait l'excommunication.

Sur le plan purement religieux, le concile de Lyon promeut une réconciliation avec Constantinople (qui sera toutefois éphémère, car, acceptée par l'empereur d'Orient, elle est immédiatement contestée, pour des raisons théologiques et de prestige, les « Grecs » ne voulant pas reconnaître la suprématie de Rome), réconciliation qui devrait mettre fin au schisme d'Orient commencé en 1054 avec l'échange d'excommunications réciproques entre Rome et Constantinople (excommunications qui ne seront annulées que sept cents ans plus tard, le 7 décembre 1965, jour de la clôture du Concile Vatican II, simultanément à Rome par Paul VI et à Istanbul par le patriarche de Constantinople Athénagoras).

Le Concile dicte ensuite des règles plus sévères en matière de discipline ecclésiastique (malheureusement, des comportements tels que le concubinage, la simonie, l'usure, l'abandon du soin pastoral des communautés sont répandus parmi le clergé) et une évaluation plus rigoureuse des qualités de ceux qui doivent être promus à la fonction d'évêque.

Grégoire souhaite également mettre de l'ordre dans le monde de plus en plus encombré des ordres religieux. Il confirme la validité des dispositions du quatrième concile du Latran (1215) qui, afin de freiner la prolifération excessive et désordonnée des ordres religieux, avait interdit l'approbation de nouveaux ordres.

À la demande du Pape, le Concile fait toutefois deux exceptions : « Nous ne voulons toutefois pas que la présente constitution s'applique aux ordres des Prêcheurs et des Mineurs, dont l'utilité évidente pour l'Église universelle témoigne de son approbation ».

En réalité, deux autres ordres sont épargnés, les Carmélites et les Ermites de Saint-Augustin, ceux qui sont aujourd'hui les Augustins de Léon XIV, premier pape augustinien, doit donc sa gratitude à Grégoire X.

Mais la réforme pour laquelle Grégoire X est certainement le plus connu est celle destinée à réguler l'élection du pape, contenue dans la constitution Ubi Periculum, promulguée par Grégoire le 16 juillet 1274, à la veille de la clôture du concile de Lyon.

La Constitution vise à éviter ce qui s'est produit lors de l'élection de Grégoire X en 1271, après 1006 jours de vacance du siège pontifical, à l'issue de l'élection papale la plus longue et la plus difficile de l'histoire, lorsque, à la mort de Clément IV en 1268, les 19 cardinaux réunis à Viterbe pour élire son successeur se sont trouvés en profond désaccord en raison de divisions politiques et nationalistes profondes.

L'Ubi Periculum prévoit des règles très strictes pour le déroulement du conclave :- Les cardinaux doivent se réunir, chacun avec un seul accompagnateur, dix jours après la mort du pape, dans le même palais où le décès a eu lieu.- Tous doivent loger dans une salle commune, sans aucun contact avec l'extérieur. - L'envoi de courriers aux cardinaux est strictement interdit, sous peine d'excommunication.

- Compte tenu des expériences précédentes, le document prescrit également des règles très précises concernant l'alimentation des cardinaux : après trois jours passés sans résultat, les cardinaux auront droit à un seul plat par repas et, après cinq jours supplémentaires passés sans résultat, leur régime sera limité au pain, au vin et à l'eau.

- En outre, pendant la vacance du siège, tous les revenus ecclésiastiques dus aux cardinaux seront retenus par le camérier pour être ensuite mis à la disposition du nouveau pape.

En somme, les grands électeurs sont pris par la faim et touchés au portefeuille !

*La Constitution Ubi Periculum est approuvée lors de la cinquième session du Concile de Lyon II malgré la forte résistance de la plupart des cardinaux, qui souhaiteraient avoir les mains libres au moment crucial de l'élection d'un nouveau pape, mais les pères conciliaires votent en faveur de la proposition du pape.

Pour la première fois, le mot « conclave » est introduit pour désigner un lieu fermé, verrouillé : la salle où les cardinaux devaient se réunir pour élire le pontife.

Et il est significatif, compte tenu des « mala tempora currunt » de l'époque, de lire dans l'Ubi Periculum :

« Nous prions les cardinaux eux-mêmes de réfléchir attentivement au devoir qui leur incombe lorsqu'il s'agit d'élire le vicaire de Jésus-Christ, successeur de Pierre, chef de l'Église universelle et guide du troupeau du Seigneur. Abandonnant toute passion privée, qu'ils ne se regardent pas trop eux-mêmes. Que personne, sauf Dieu, n'influence leur jugement dans l'élection. Qu'ils recherchent sans crainte ce qui est d'utilité commune, en s'efforçant uniquement d'accélérer une élection utile et nécessaire, en donnant avec sollicitude à l'Église elle-même un époux digne. Les fidèles ne doivent pas tant compter sur une élection rapide, mais plutôt sur le pouvoir d'intercession de la prière humble et dévouée ».

Le pontificat de Grégoire X est bref (un peu plus de quatre ans effectifs) mais d'une grande valeur pour les objectifs que le pape Visconti s'était fixés, même si les résultats ont été inférieurs aux attentes (en effet, la croisade ne verra pas le jour et l'union avec Constantinople ne durera que le temps d'un concile, tandis qu'un conflit dramatique s'annonce entre l'autel et le trône, qui culminera dans le duel entre Philippe le Bel, roi de France, et Boniface VIII).

C'est ce qu'affirme l'historien Ludovico Gatto, décédé en 2019, professeur d'histoire médiévale dans plusieurs universités, qui avait obtenu son diplôme à La Sapienza avec une thèse sur Grégoire X (cf. Enciclopedia dei Papi/Treccani, entrée Grégoire X) :

« Si nous devions porter un jugement sur le programme grégorien uniquement sur la base des réalisations effectives et de la tenue globale de son projet, celui-ci ne pourrait être que négatif. Il en va autrement si nous voulons nous prononcer, comme il convient, sur la personnalité religieuse et politique de ce pape. En ce sens, en effet, l'avis ne peut être que positif et la personnalité remarquable de ce pontife s'impose, tout comme son projet de transformation des mœurs du clergé. On retiendra surtout de Grégoire la réforme du conclave, une étape importante dans l'histoire ecclésiastique, capable de défier les siècles ».

D'ailleurs, le fait que, même lorsqu'il « faisait de la politique », sa vision religieuse prévalait (à une époque où la tentation de subordonner la religion à la politique prévalait), a été immédiatement reconnu par ses contemporains, à tel point que sa mémoire est rapidement devenue objet de culte, amenant Clément XI à confirmer son culte en 1713 et Benoît XIV à inscrire son nom dans le Martyrologium Romanum.

Il est certain que Grégoire X s'est taillé une place de choix non seulement parmi les papes médiévaux, mais aussi dans toute l'histoire de l'Église.